Quand l'imperceptible devient nuisible

Pas besoin d’avoir des bleus sur le corps pour souffrir de violences conjugales. Mais, pour le commun des mortels, les violences qu’on ne voit pas, n’existent pas. Les blessures de l’esprit sont subjectives, elles sont imperceptibles au point qu’elles n’ont pas d’existence réelle pour les personnes extérieures. Tu te retrouves alors à être, au mieux, trop susceptible et émotive, au pire folle et hystérique. À l’extérieur, ton bourreau, lui, est aimable, amoureux. Son entourage le voit comme une personne drôle, charismatique avec une aura bienveillante. Mais à la maison, c’est sous un tout autre jour qu’il apparait, d’où la difficulté pour toi de t’exprimer, de témoigner, de sortir de cette spirale infernale.
La manipulation de ton tortionnaire est sourde, dissimulée, elle se faufile dans les moindres interstices de ton cerveau, son emprise est sournoise. Souffler le chaud et le froid en permanence, te rabaisser puis s’excuser, t’insulter puis te consoler, te détester puis t’aimer à en mourrir. Contrôler, surveiller, une jalousie possessive si puissante qu’elle n’a pas besoin de coups pour te dévaster. Les mots s’envolent et avec eux un peu de ton âme chaque jour. Tu t’éteins petit à petit, tu te coupes de ton entourage, de tes proches, pour éviter les questions ou les disputes, tu ne sors plus, tu ne vis que par et pour cet ogre insatiable.
La violence physique n’arrivera jamais, il est bien trop « intelligent » pour cela. Comme il aime à te le répéter, il n’est pas comme ça lui… il n’est pas comme tous ces poivrots alcooliques qui battent leurs femmes, tu comprends… il a un statut social, lui… il a fait des hautes études, il a un emploi avec des responsabilités… il n’est pas comme ça, LUI. Alors, tu partiras mais tu reviendras aussi, plusieurs fois, on ne les comptera même plus. Tu le quitteras un jour, définitivement sans te retourner, parce qu’avec ce genre de personne, on ne peut pas se le permettre. Tu dois couper les ponts, te préserver de son influence, de sa volonté de te voir revenir sous sa coupe, car oui, il essaiera, forcément.
Et il recommencera avec une autre. Tu n’y es pour rien, car sa violence à lui, elle est invisible, elle n’a pas de couleur, ni de cicatrice, sauf celles de l’âme impalpable de ses victimes. Elle n’a pas de preuve, elle plane entre la véracité des faits et l’affabulation dont on t’a déjà fait le reproche. Et tu culpabiliseras encore, de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour qu’il arrête, pour qu’il se soigne de peur qu’il ne recommence avec une autre, et pour avoir décidé de sauver ta peau. Tel sera son dernier acte de manipulation sur toi.
Mais sache que rien ne justifiera jamais la violence que tu as subie. Ton sentiment de culpabilité ne doit en rien remettre en question ta décision de mettre fin à ton calvaire et à cette relation toxique. Quitter son oppresseur pour sauvegarder sa santé physique et mentale reste la seule et unique chose à faire. Personne ne te demandera jamais de sauver la terre entière de son emprise, t’occuper de toi doit rester une priorité. Parce que la victime c’est TOI et l’oppresseur c’est LUI.
Texte de Bonnie Braun